Le Vice-consul (
Gallimard, 2011)
par Marguerite Duras
France, 1966
Le Vice-consul c'est un roman triste, presque tragiquement triste en effet, sur la douleur et la folie, la mémoire et l'oubli. L'intrigue commence, à Calcutta, avec l'histoire d'une mendiante errante de l'Asie du Sud-Est qui, après d'avoir vendu son enfant à une femme bourgeoise, arrive en Inde dix ans plus tard, où elle dort entre les lépreux sur la rive du Gange avec « sa mémoire abolie » (576). « Elle est folle », on lit. « Son sourire ne trompe pas » (653). Comme par hasard, le vice-consul à Lahore est arrivé à Calcutta il y a cinq semaines après avoir devenu fou à Lahore d'où « il a été déplacé à la suite d'incidents qui ont été estimés pénibles par les autorités diplomatiques de Calcutta » (559). Quel genre d'incidents? On ne le sait pas vraiment, mais on dit qu'il « a fait le pire »: « il tirait la nuit sur les jardins de Shalimar où se réfugient les lépreux et les chiens » (591). À partir de ces prémisses, Duras a pu engendrer un livre « anticolonial » dans lequel elle cherche la complicité du lecteur à établir un parallèle entre la mendiante et le vice-consul quant à sa condition de paria. C'est une affaire délicate. En premier lieu, c'est difficile de ressentir de la pitié pour ou le vice-consul ou la mendiante à cause de leurs actions. Néanmoins, Duras plaide la cause de l'isolement comme le lien entre les personnages principaux. Pendant que le vice-consul attend sa prochaine nomination, par exemple, il semble
tomber amoureux de l'ambassadrice Anne-Marie Stretter, une femme dit être
tormentée « par indifférence à la vie » (624). Elle n'est pas
intéressée en le vice-consul, qui pense d'elle que « son ciel, ce sont
les larmes » (636); pas aimé et derangé, il bredouille des choses comme « je sais, je suis une plaie » (633) et il pleure dans la nuit. Bien que Duras soit souvent froide jusqu'à la cruauté avec ses
personnages, son style est, comme d'habitude, fortifiant, urgent. Quand le vice-consul et l'ambassadrice dansent au bal à la réception de l'ambassade, la romancière prend quatre paragraphes pour dire « Alors tout l'Inde blanche les regarde. », « On attend. Ils se taisent. », « On attend. Ils se taisent encore. », et « On attend. Ils se taisent encore. On regarde moins. » (607). La brusquerie de la prose est violente. Ailleurs, l'écrivaine n'hésite pas à poser des questions difficiles. « Mais des lépreux ou des chiens
, est-ce tuer que de tuer des lépreux ou des chiens? » On notera que cette question ne reçoit pas une vraie réponse, peut-être parce que Duras aime l'ambiguïté et peut-être parce que ce crime n'importe pas tellement a la société des Blancs de Calcutta. « Les lépreux, de loin, avez-vous remarqué? On les distingue mal du reste, alors... » (591).
Marguerite Duras (1914-1996)
L'Édition
Le Vice-consul paraît dans Tome II des Oeuvres complètes de Duras (Paris: Éditions Gallimard, 2011, 543-657).